Architecture un lieu

Rencontre avec Sophie Athanase et Vincent Maury, associés de Studios Architecture

Par Nat Lecuppre, le 23 mai 2025.
Image
DR

Face au savoir-faire et à l’expertise de Studios pour créer des univers de workplace exceptionnels, nous avons rencontré deux associés pour recueillir leur vision.

Nda : Qu’est-ce que la réversibilité ?

Sophie Athanase : C’est la capacité de changer l’usage d’un bâtiment sans opérer d’importants travaux de transformation. Le meilleur exemple est l’immeuble haussmannien, qui a la capacité d’accueillir une grande variété de programmes. Changer l’usage d’un bâtiment est une pratique aussi ancienne que l’architecture, mais le phénomène s’est accéléré au XXe siècle, quand les villes furent constituées, pour les faire évoluer. Pendant longtemps, les transformations s’opéraient de manière brutale pour répondre à un besoin ponctuel mais sans se projeter véritablement sur le long terme. Aujourd’hui, face à l’urgence climatique, un changement de paradigme s’impose pour rompre avec les modèles du passé et penser l’architecture sur le temps long avec des ressources limitées.

Vincent Maury : Désormais, nous anticipons la réversibilité et l’intégrons dès la phase de conception pour permettre aux bâtiments de s’adapter dans le futur à différents usages de manière souple, en minimisant les travaux et donc les coûts et l’impact environnemental des futures transformations.

Nda : Est-ce que tout est réversible ?

S.A. : Non. En réversibilité, on pense d’abord noyau et façade, mais aussi profondeur de plateaux et accès à la lumière. La distribution et l’évacuation des espaces nécessitent aussi des approches très différentes notamment en matière de réglementation incendie. Toutes ces questions peuvent être un frein à la transformation de bureaux en logements par exemple. Pour autant, toutes ces contraintes nous poussent à être plus créatifs pour apporter les solutions architecturales qui vont rendre les sites évolutifs. En témoignent la transformation de la Tour Paris Lyon de bureaux en hôtel, ou encore l’ancien central téléphonique de la rue Laborde en espace de travail moderne et sophistiqué pour l’Atelier Covivio.

V.M. : Penser la réversibilité d’un bâtiment et notamment en restructuration, c’est aussi l’opportunité d’apporter des réponses atypiques, de réfléchir différemment sur un programme, d’aller sur des solutions non standardisées. Après, cela devient une équation pour que le programme proposé rencontre un modèle économique qui fonctionne.

Nda : Comment se conçoit la réversibilité ?

S.A. : Notre expertise auprès des utilisateurs nous nourrit dans ce sens pour apporter des réponses pertinentes et pérennes qui intègrent une réflexion sur les usages et leurs évolutions. En témoigne la révolution du bureau post-covid. Nous avons vu concrètement les espaces de bureaux rétrécir ces dernières années tout en s’ouvrant à leurs quartiers. C’est riche d’enseignements pour imaginer la ville de demain et anticiper les évolutions des bâtiments, avec des socles très flexibles et ouverts sur la rue, qui pourront accueillir plusieurs usages. À toutes les échelles, l’architecture se transforme pour offrir de la flexibilité, la transition climatique nous le demande. Nous ne sommes plus dans des solutions figées mais dans une conception architecturale plus durable, capable de muter avec son temps et avec son environnement.

V.M. : La réversibilité n’est pas un exercice théorique. Elle ne se conçoit pas seulement de manière technique à l’échelle du bâtiment. Quand on parle d’usage et de destinations, on interroge la mixité fonctionnelle des villes et des territoires. La réflexion doit se faire à plusieurs échelles : celle de l’îlot, du quartier, de la ville, du département. Cela implique toutes les parties prenantes : les acteurs publics, des maîtres d’ouvrage qui y croient et qui s’engagent et bien sûr l’architecte pour transformer et trouver des solutions.

Nda : Est-ce une nouvelle approche de l’architecture ?

S.A. : La réversibilité participe à une nouvelle vision de l’architecture. Une architecture plus frugale, qui fait plus avec moins et privilégie une approche bioclimatique et low tech pour limiter le recours aux systèmes techniques. Cette approche, dont l’expression la plus poussée est l’architecture passive, permet de faire migrer un programme vers un autre beaucoup plus facilement. La construction hors site avec des systèmes constructifs en bois ou en métal préfabriqués est également une réponse adaptée avec la possibilité de démonter, adapter, réutiliser les éléments en fonction des besoins.

V.M. : La réversibilité, outre ses réponses architecturales, est aussi une façon de soutenir la mixité fonctionnelle dans les bâtiments, les quartiers et les villes pour limiter les déplacements. C’est le vœu que formule le nouveau PLU bioclimatique à Paris et qui préfigure les autres PLU à venir en France. Dans ce contexte, le rôle de l’architecte est clé. Au carrefour des enjeux, des contraintes et des solutions, nous sommes à même d’apporter des réponses concrètes à toutes les échelles grâce à notre vision transversale.

Merci à Sophie Athanase et Vincent Maury pour ce partage.

Galerie d'images (5)
    Partagez cet article autour de vous
    Facebook
    Twitter / X
    LinkedIn
    Pinterest
    E-mail

    Studios Architecture

    103, rue de Grenelle

    75007 Paris

    Tél. : +33 (0)1 44 95 86 60

    www.studios.com

    Retrouvez cet article dans le nda numéro 60
    Image

    Agilité, flexibilité, réversibilité

    Commander

    À découvrir
    Image
    Architecture, l'esprit du lieu

    Les belles demeures ont toujours le vent en poupe

    Par Nat Lecuppre, le 20 janvier 2025
    D’après une étude OpinionWay menée fin avril-début mai 2024 auprès de 421 répondants (Belles Demeures) ayant un projet d’acquisition ou de vente d’un bien de prestige d’ici deux ans, on peut confirmer que l’immobilier de luxe ou de l’ultra-luxe séduit toujours autant. Belles Demeures, filiale du Groupe SeLoger, est spécialiste de l’immobilier de prestige. Près de 500 000 annonces de biens d’exception sont mises sur leur site qui compte environ 700 000 visiteurs par mois. Malgré un contexte économique difficile, le luxe séduit toujours autant en France. Le marché immobilier du luxe français connaît une croissance de 2,3 % pour les maisons et 1,1 % pour les appartements en moyenne par an. A contrario du marché traditionnel où les maisons marquent une baisse de 1 % pour les maisons et 3 % pour les appartements. Ceci peut s’expliquer par le faible impact de la hausse des taux d’intérêt qui ne concerne pas véritablement la clientèle premium. À Paris, cette différence entre le marché traditionnel et le marché du luxe se ressent. En deux ans, les biens « classiques » ont vu baisser leurs prix de 12 % avec un tarif de 10 000 € / m2. Tandis que les appartements de luxe augmentent de 2,5 % pour un prix médian de 17 441 € / m2 soit environ 1,7 million d’euros, allant même jusqu’à 4,2 millions d’euros pour l’ultra-luxe. Rive gauche, des arrondissements comme dans le 7e enregistrent un prix médian de 3,9 millions d’euros soit + 5 % sur deux ans, + 2,1 % dans le 6e, + 1,9 % dans le 16e. Ce dernier détient 30 % des offres du marché de l’ultra-luxe parisien pour un prix médian de 4,7 millions d’euros. En 2023, Knight Franck réalise une année positive pour l’utra-luxe avec des transactions à Paris entre 50 M€ et 80 M€ (prix moyen 30 400 € / m2). 42 % des ventes concernent les hôtels particuliers, 75 % des ventes pour les biens avec espaces extérieurs, et 56 % des ventes pour les clés en main (« turnkey properties »). Les acheteurs sont majoritairement asiatiques et américains. Ces informations sont confirmées par Sébastien Kuperfis, président de Junot Fine Properties – Knight Frank. On pourrait se dire que tout va bien. Il n’en est pas de même pour les maisons luxueuses d’Île-de-France (Yvelines et Hauts-de-Seine). Leur prix médian de 1,3 ou 1,4 M€ notent une baisse de 5,1 % et 3,2 % sur un an. Seul Neuilly-sur-Seine avec ses hôtels particuliers propose un prix médian de 5,7 M€. Pourquoi cette dissonance avec la ville de Paris ? En fait, les acheteurs pour une maison de luxe en Île-de-France sont français, et souvent ils doivent demander un crédit pour acheter un bien. La multiplication par deux des taux d’intérêt en deux ans est donc le critère qui fait chuter les ventes. Confirmation de Thomas Lefebvre, vice-président Data chez Belles Demeures. L’immobilier de prestige a encore de beaux jours devant lui, surtout en région. Les territoires les plus dynamiques sont la Côte d’Azur (départements 06, 83, 13) avec les maisons luxueuses les plus chères de France, la côte ouest face à l’Atlantique (départements 64, 40, 33, 17, 85 et 44) et en Normandie (départements 14 et 76). La Provence a connu des prix de + 7,2 % en un an, et les Alpes (départements 73,
    Image
    Architecture remarquable

    Kengo Kuma fait carrière à Vals

    Par Lionel Blaisse, le 7 octobre 2024
    L’architecte japonais signe Haus Balma, le siège social de l’entreprise familiale Truffer, qui exploite depuis 1983 une des carrières de quartzite du petit village des Grisons, célèbre pour ses thermes recréés par Peter Zumthor. Passionnés d’architecture et de design, Pia et Pius Truffer ont donné carte blanche à Kengo Kuma dès lors qu’il œuvrerait à valoriser leur grisante pierre de Vals en en révélant tout le potentiel innovant tant technologique qu’architectonique. Autant affirmer de suite que la réalisation concourt à la consécration de ce bourg d’à peine un millier d’âmes comme lieu de pèlerinage incontournable de l’architecture contemporaine ! Une collection int(h)erminable ? Cette vallée très encaissée des Grisons est née de la force de l’eau. Excavée depuis plusieurs siècles, sa roche siliceuse aux reflets bleutés ou verdâtres fournit les lauzes de la quasi-totalité des toitures de la région ainsi que les pierres constituant les murets et ouvrages de confortement. L’exploitation de son eau à 30° C y est bien plus récente. Ce n’est qu’au début des années 1960 que des investisseurs allemands entreprennent de construire plusieurs hôtels et un complexe thermal sans grand intérêt architectural qui font faillite vingt ans plus tard. La municipalité ayant fini par racheter les thermes et un des hôtels, elle sollicite l’architecte Peter Zumthor dont l’agence d’Haldenstein se situe à 55 kilomètres de leur commune. Étant dans son aire naturelle où il exerce surtout sur des édifices historiques, le futur Pritzker Prize accepte. Après trois ans d’études, il livre en 1996 l’œuvre qui va le propulser dans tous les médias ! Mais c’est à une autre star montante de l’architecture que le couple de carriers va confier la conception de leur futur siège social. C’est à l’occasion d’une foire sur la pierre à Pékin que Pia Truffer et son fils aîné Sokrates découvrent en 2011 le travail de Kengo Kuma au sein de l’hôtel Opposite House où ils séjournent. Séduits par sa production, ils invitent le concepteur nippon à Vals qui contracte avec eux ! L’épopée architecturale de la commune s’était déjà enclenchée deux ans plus tôt avec la construction d’une étrange maison troglodyte dessinée par SeARCH associé à son compatriote néerlandais Christian Müller. En 2012, l’homme d’affaires originaire de Vals Remo Stoffel rachète à la municipalité les thermes et l’hôtel. Ce dernier renaîtra deux ans plus tard sous le patronyme de 7132 House of Architectes. Ses 73 chambres de 20 m2 sont rénovées par Peter Zumthor, Tadao Ando, Thom Mayne et… Kengo Kuma ! Œuvre maîtrisée. Les 1 365 m2 du programme – un showroom, des bureaux et deux logements de fonction – se déploient sur cinq niveaux dont un en infrastructure suivant une emprise trapézoïdale imposée par la parcelle. Le faîtage étant implanté sur une des deux diagonales, les deux versants de toiture ainsi générés sont franchement asymétriques. L’architecte a imaginé en allège d’étages des débords de toiture comme de saillantes génoises mais constituées de lauzes qui confèrent à l’édifice des airs de pagode. L’entre-deux aux allures de stores vénitiens inclinés déstabilise encore davantage avec ses lits alternant 900 feuilles de quartzite et 500 lames de chêne que maintiennent en
    Saint-Pabu agence d’architecture Guinée*Potin
    Urbanisme

    Sous le chaume, une école publique

    Par Sipane Hoh, le 15 novembre 2023
    Dans la commune de Saint-Pabu, l’agence d’architecture Guinée*Potin a réalisé une école publique et une salle multi-activités qui adoptent le lieu et se distinguent par ses diverses qualités environnementales. Située à 27 km au nord de Brest, la commune de Saint-Pabu se trouve sur la rive gauche de l’embouchure de l’aber dénommé Aber Benoît. C’est dans un contexte urbain peu dense et un environnement rural très caractéristique que l’on découvre le projet de l’école publique. Cette dernière a pris place sur un premier plateau, au niveau de l’entrée sud de l’espace Roz Avel et de la cantine actuelle. Quant à la salle de sport, elle s’implante sur un second palier situé plus haut sur le coteau, tandis que le troisième plateau est dédié à une zone de stationnement existante et une réserve foncière de la Mairie. La différenciation des programmes était donc une évidence pour les architectes qui ont profité du jeu de décalage du site pour implanter avec soin leur projet. Il suit le tracé d’une allée piétonne transversale qui dessine une épine dorsale sur un axe nord / sud et articule les programmes nouveaux mais aussi les équipements existants. L’école et la salle multi-activités sont implantées dans un contexte qui garde son âme, mis en exergue à travers des cheminements, des traverses et des allées. Ce projet, ancré dans son milieu, exprime la signature de l’agence Guinée*Potin dont la démarche consiste à relier avec adresse architecture et contexte. Trois entités en une L’ensemble puise ses sources dans la localité où il se trouve. En effet, la réalisation réinterprète de façon contemporaine les aspects vernaculaires du site. « Le talus, présent sous différentes formes sur le site et ses alentours, est une figure paysagère caractéristique du lieu. Le projet conserve ces talus parallèles à la pente, les prolonge et en crée de nouveaux pour structurer le terrain en différents plateaux, sur lesquels viennent se glisser les bâtiments » raconte l’architecte Hervé Potin, associé de Guinée*Potin. De même, la réalisation reprend les caractéristiques d’architectures traditionnelles des Abers en Bretagne comme le recours à des bâtiments distincts, les pignons fermés protecteurs, les couvertures à doubles pentes et les toitures en chaume. L’école est composée de trois longères qui abritent chacune une entité programmatique distincte. Tandis que les locaux de la maternelle se trouvent au nord, l’administration, les locaux techniques et la salle de motricité commune à la maternelle et à l’élémentaire sont placés au centre. Quant aux locaux élémentaires, ils sont abrités dans la longère donnant vers le sud. L’entrée de l’école présente des façades fermées aux vents et à la pluie offrant un portique évidé pour accueillir le public. Elle se situe au niveau du parvis qui se compose d’un premier espace clôturé sécurisé et d’un second ouvert qui assure la continuité avec l’allée pavée de béton balayé par sa matérialité, s’ouvrant vers l’entrée côté sud et sur la mairie en contrebas. Un espace agrémenté d’un arbre et aménagé de quelques assises offre un cadre agréable aux accompagnants à la sortie des classes. À noter

    Laisser un commentaire

    16 − onze =