Parcours

Constructa, une entreprise hors pair désormais hors père

Par Lionel Blaisse, le 27 juillet 2023.
Image
Les Jetées d’Huningue à Bâle (30 000 m2) par Dream, Nicolas Laisné, Jean-baptiste Pietri et Triptyque (chantier en cours)

Présidé durant plus de 40 ans par Marc Pietri jusqu’à sa mort prématurée début 2020, le très atypique groupe familial de services immobiliers est désormais dirigé par un architecte toujours en exercice… son fils Jean-Baptiste Pietri !

Jean-Baptiste Pietri. ©SaskiaLawaks

Constructa a exercé sa passion pour l’humain, l’architecture et la ville d’abord à Marseille et sa région, puis aux USA avant de revenir dans l’hexagone pour participer activement à la requalification des villes moyennes, trop souvent délaissées. Après la tour La Marseillaise de Jean Nouvel, celle de la Porte Bleue – conçue par Jean-Baptiste Pietri – viendra parachever Les Quais d’Arenc. Seront aussi livrées prochainement deux opérations « chorales » au bord de l’eau, Les Jetées à Huningue (Bâle) et Les Carrières Blanches à Dijon.

Une multitude de raisons, donc, pour retracer dans ce numéro le parcours hors norme de ce leader du secteur avec son nouveau président à la double casquette.

NDA. L’histoire de Constructa est suffisamment atypique pour que vous nous la relatiez.

Jean-Baptiste Pietri : Constructa a été créée en 1964. Mon père, Marc Pietri, entre alors dans cette petite entreprise de commercialisation comme secrétaire général avant de la racheter quelques années plus tard et de la développer sur le territoire sud marseillais. À cette époque, il n’y avait pas énormément de projets d’achat sur le secteur, la VEFA 1 n’existant pas alors, on construisait encore l’immeuble en blanc dans lequel on aménageait un appartement témoin avant de pouvoir commencer à le commercialiser. Constructa va devenir un leader régional puis national en matière de commercialisation de logements résidentiels.

À la fin des années 1980, mon père est appelé à la rescousse par plusieurs de ses gros clients français 2 ayant investi aux USA dans des projets immobiliers alors en souffrance. Les USA n’étaient pas l’eldorado qu’ils avaient imaginé et pour certains ce fut plutôt le Far West – un territoire « piégeux » disait mon père – où ils se sont fait dépouiller. Comme eux, le plus grand entrepreneur du monde actuel, Bernard Arnault, y a tenté – en vain – sa chance, après avoir vendu Férinel. Pour essayer de sauver les fonciers « plantés » dans les actifs, Constructa a monté sur place des équipes qui, pour mieux appréhender le marché américain et ses pratiques, vont se familiariser à la gestion immobilière en matière d’asset management et de property management, encore inconnus en France où Constructa les importera. En 1991, l’entreprise redéveloppe avec succès le Coco Walk à Miami (pour le compte de la Banque Worms) – la plus grande référence américaine de centre commercial – en l’ouvrant sur l’extérieur et en y intégrant des cinémas, des restaurants pour lui donner une dimension festive. Cette opération va lancer Constructa aux États-Unis où l’entreprise va rester vingt ans et y produire quelques projets emblématiques que ce soit comme promoteur (1500 Ocean Drive ou Mary Brickell Village à Miami) ou gestionnaire, mais aussi comme AMO 3 pour le compte de tiers. Ce fut notamment le cas pour l’hôtelier Accor qui aspirait à y repositionner l’enseigne Sofitel dans les standards du luxe international. Constructa va ainsi encadrer la construction de leurs établissements à New York et à Chicago (avec Jean-Paul Viguier) et la rénovation de ceux de Washington et Philadelphie.

En 2001, mon père est fatigué de ses allers-retours aux USA, qui plus est la crise est là. Mais il s’est lancé un nouveau défi qui s’appelle Marseille. Il y achète une friche industrielle – anciens entrepôts de Transcausse – sur laquelle il programme l’opération des Quais d’Arenc avec plusieurs tours dont La Marseillaise conçue par Jean Nouvel et livrée en 2018. Il pressent le vrai potentiel de changement de la cité phocéenne qui doit impérativement évoluer. En revenant en France, Constructa reste commercialisateur, Asset et Property manager, assistant à maîtrise d’ouvrage, mais surtout devient promoteur. Davantage progressiste, mon père avait un problème avec ces professionnels dont il n’aimait pas l’état d’esprit. C’est donc via les zones Anru 4 qu’il décide de s’attaquer à la maîtrise d’ouvrage et crée, pour ce faire, une filiale appelée Propria pour bâtir des logements dans ces zones en mal-être qu’un ministre visionnaire – Jean-Louis Borloo – veut rénover, requalifier. Correspondant à sa fibre de projet et de partage, il s’y investit pleinement en fonction des opportunités et sans visée hégémonique ; le succès est au rendez-vous. Constructa s’est toujours concentrée sur le rapport humain et sur le projet, ce qui explique sa performance. D’ailleurs, c’est pourquoi quand j’en reprends la présidence, je rebaptise l’activité promotion « Les éditeurs urbains », profitant tout simplement de l’héritage de Constructa et de projets emblématiques menés avec des architectes de renom tels que Michael Graves, Jean Nouvel ou Roland Carta. Faire des projets différents et beaux ! Il y a plus de valeur ajoutée accessible à tout le monde dans un plus beau bâtiment : un bel immeuble, une belle façade sont partagés par toute la rue où ils rayonnent et entraînent par capillarité un nivellement par le haut. Mais c’est aussi via le développement durable (maintenance plus pérenne et moins coûteuse) ou encore la plus-value patrimoniale et financière puisque le bien se revendra plus cher. Sa commercialisation est aussi plus aisée. Il « supporte » également les ambitions urbaines des élus locaux.

NDA. Si Marseille a été son port d’attache, Constructa n’a pas focalisé sa stratégie de développement sur les grandes métropoles.

J.B.P. : Parce qu’il était hors sentier, hors norme, mon père s’est toujours intéressé aux villes moyennes, car il refusait de participer aux super consultations à plusieurs centaines de millions d’euros où tout le monde se battait et qui manquaient de sincérité. Du coup, il attendait que des villes moyennes (alors souvent délaissées et dépréciées) l’appellent – ce qui était d’ailleurs souvent le cas. Il y avait un rapport très souvent plus direct avec les élus qui, portant une vision pour leur ville, cherchaient un chevalier blanc ou un entrepreneur assez fou et ambitieux pour parier sur leur territoire trop peu regardé à l’époque.

En gros, pour parler de beautés cachées sur le territoire national, il n’y avait pas que le PUCA ou la première couronne. Aujourd’hui on parle de Dijon ou de Montpellier – on pourrait aussi parler de Marseille à l’époque, une grande ville alors ostracisée. Mais les choses évoluent heureusement : il y a encore peu, il était ringard d’habiter la province, aujourd’hui c’est de vivre à Paris. Le monde s’est inversé pour plein de raisons. D’abord parce qu’il y a eu, depuis une dizaine d’années, un énorme travail préparatoire autour de la métropolisation des capitales régionales (Nantes, Bordeaux, Marseille…). L’arrivée du Covid a marqué la fin d’un premier cycle d’expansion et de requalification de ces grandes villes régionales. On a commencé à regarder les choses différemment, notamment quant à la rapidité avec laquelle s’étaient opérés ces changements, probablement de façon trop libérale. Les gens ont dès lors réfléchi à maximiser leur capacité d’achat et, à cause ou grâce au Covid, se sont autorisés à regarder ailleurs. La pandémie nous a poussés à nous reconnecter avec la nature, nos familles et nos vies, et nous a fait reconsidérer la hiérarchie de nos besoins. Si Bordeaux et Marseille étaient encore attractives, Le Mans, Tours… faisaient aussi partie des solutions où trouver une meilleure qualité de vie avec un logement plus grand, plus de sécurité. Face à la gentrification non seulement de la ville, mais aussi du monde, un bon nombre de gens se sont sentis déclassés. Qui a de nos jours les moyens d’habiter Paris intramuros, sûrement pas une famille. Tant en termes d’habitat que de sécurité, mais aussi d’accès aux sports et à la nature, les gens ont désormais l’impression que les sacrifices qu’ils font pour continuer à y vivre n’en valent plus vraiment la peine. Et puis il y a à côté l’avènement définitif de la mobilité qui n’est plus une mobilité de loisirs mais désormais professionnelle. On accepte de faire un trajet aller-retour une fois la semaine Marseille-Paris ou Lyon-Paris parce que le télétravail est enfin passé dans les mœurs et les usages des entreprises, après avoir été expérimenté lors des confinements. Il n’en reste pas moins que toutes les professions ne peuvent pas télétravailler, d’où forcément une certaine forme d’injustice entre ceux qui le peuvent et les autres (infirmière, chef de chantier, camionneur…). On est au début d’un indispensable réaménagement du territoire au regard du réaménagement des modalités de travail. C’est une chance extraordinaire pour les villes moyennes qui sont souvent mieux gérées et moins victimes d’idéologie politique que les métropoles. Ce qui leur manquait c’était le flux économique pour retrouver un dynamisme. Elles devront anticiper le risque de gentrification de la part des classes moyenne et moyenne supérieure au détriment d’une population locale plus modeste qui, ne parvenant plus financièrement à se loger sur place, risque de se sentir encore plus déclassée. On commence à voir des manifestations dénonçant ce phénomène – comme à La Rochelle – qui jusqu’à présent concernait essentiellement les cités balnéaires. C’est un vrai changement de paysage général. Il n’y a pas de raisons pour que ces petites villes moyennes régionales ne soient pas réinvesties, revalorisées. Metz et Lens ont été relancés au travers de nouveaux programmes culturels. Il est fort probable qu’après le renouveau des villes moyennes, on va partir à la reconquête des villages !

NDA. Votre expérience d’architecte va-t-elle vous inciter à faire des choses différemment en matière de maîtrise d’ouvrage ?

J.B.P. : J’ai désormais beaucoup de responsabilités en un moment où la conjoncture n’est pas des plus favorables, mais la caractéristique des éditeurs urbains se révèle être une remise en forme actualisée de ce que faisait mon père, de ses ambitions architecturales. Je suis convaincu que l’avenir est, plus que jamais, à l’architecture, que l’ambition architecturale est en train de rentrer dans les mœurs.

  1. Vente en état futur d’achèvement (sur plans)
  2. SAE (l’ancêtre d’Eiffage), la Banque Worms, la Générale des eaux, la Compagnie des entrepreneurs…
  3. Assistance à maîtrise d’ouvrage
  4. Agence nationale pour la rénovation urbaine
Galerie d'images (16)
    Partagez cet article autour de vous
    Facebook
    Twitter / X
    LinkedIn
    Pinterest
    E-mail

    Constructa S.A.

    134, boulevard Haussmann
    75008 Paris
    Tél. : +33 (0)1 56 59 64 00
    www.groupe-constructa.fr

    Retrouvez cet article dans le nda numéro 52
    Couverture du Numéro 52 de NDA

    Quartiers revisités, le renouveau

    À découvrir
    Image
    L'événement

    WorkSpace, au bureau comme à l’hôtel

    Par Anne-Marie Fèvre, le 19 février 2024
    Le salon pour le mobilier et l’aménagement des espaces de travail se tiendra en mars 2024. Thème : « Authentique, durable et connecté ». Autour d’un bureau plus hospitalier, conversation avec le directeur, Laurent Botton. WorkSpace (Espace travail) a fêté son dixième anniversaire en 2023 sur le thème « 10 ans au vert ». La manifestation a attiré 19 000 visiteurs et quelques 300 exposants et marques à la Porte de Versailles. Soit une progression du visitorat de 5 % par rapport à 2019. Fort de ce résultat encourageant, le directeur Laurent Botton (pôle Weyou Group), qui avait repositionné cette manifestation en 2012 sur le thème « Le bureau comme à la maison », se réjouit : « Nous avions vu juste. » Il prépare donc la 11e édition assez confiant, elle se déroulera du 26 au 28 mars 2024 à la Porte de Versailles. « La France représente le deuxième marché européen. Le salon est devenu une référence européenne. Nous réunissons majoritairement les distributeurs de mobilier français (90 %) mais aussi francophones et européens, nous attirons des Italiens, des Espagnols, l’Europe de l’Est. Nous nous adressons aux prescripteurs, les architectes et les designers, ils représentent un quart des visiteurs. » WorkSpace s’organise en deux axes : WorkSpace Expo et Environnement de travail et des achats. Face aux immenses foires comme Orgatec à Cologne, ce « petit » salon cible les utilisateurs français qui ont peu de temps. « Il ne dure que trois jours, argumente Laurent Botton, on doit pouvoir le visiter en une demi-journée, sans se sentir écrasé. Sur WorkSpace Expo, on mise sur le stand avant tout, pas trop grand, mais efficace car les exposants jouent le jeu pour bien présenter leurs nouveautés, leurs icônes, leurs savoir-faire, il y a des stands magnifiques. » Le thème retenu en 2024 est « Authentique, durable et connecté », mis en espace par l’architecte Karl Petit (Studio K). « Ce thème est devenu évident, poursuit Laurent Botton. Avec la crise énergétique, le respect de l’environnement, la pénurie de matériaux, sont proposés des produits français ou européens. C’est une rencontre pour offrir des solutions. Comme des tissus écologiques.
    Image
    Architecture remarquable

    Discrétion et ­sobriété à Bandol

    Par Sipane Hoh, le 4 mars 2024
    Reconnue par ses réalisations sensibles qui procurent un certain sens du « bonheur d’habiter », l’architecte Valérie Chomarat a livré à Bandol une maison aux lignes parfaites, aux traits minimalistes et aux diverses qualités. De Genève, où elle réside, à Minorque, en passant par Bandol ou Varsovie, ses projets de villas, fincas, chalets ou yachts sont marqués par un minimalisme sensible et une exquise intégration dans leur environnement. L’architecte, qui affectionne particulièrement l’architecture japonaise et à l’enfance ardéchoise passée dans une maison « dedans-dehors », ne cesse de nous étonner. C’est dans le sud de la France, entre Sanary et Cassis, que Valérie Chomarat réalise cette fois-ci une splendide résidence qui adopte le lieu et se fond dans le paysage. Du large, on ne distingue rien, ou presque, la maison prend place avec une grande délicatesse dans une calanque bandolaise, à deux pas de la mer. L’architecte, qui a façonné les bases de sa signature pendant dix ans aux côtés du Britannique John Pawson, qu’elle considère comme son mentor, et se sert souvent de matériaux locaux bruts, au plus proche de la nature, utilise à Bandol l’horizon comme inspiration. Le lieu est idyllique, un panorama sublime, un environnement naturel et une maison aux volumes étirés qui entament un fin dialogue avec son voisinage. Parmi les entités composant la maisonnée, une extension qui offre une longue ouverture vitrée, à la fois reflet et passage vers la Méditerranée. Enthousiaste et déterminée, Valérie Chomarat affectionne particulièrement le rapport de l’homme à la nature et l’harmonie entre intérieur et extérieur. Cela est dû, entre autres, aux réminiscences de son enfance mais aussi aux différentes découvertes des grands noms de l’architecture nippones comme Tadao Ando. Des séquences d’architectures empreintes d’émotion Dans la maison de Bandol, les limites de l’intérieur et l’extérieur se brouillent par moments pour offrir aux usagers des séquences d’architectures empreintes d’émotion. L’horizon guide les ouvertures, toutes les teintes s’inspirent de celles de la côte bandolaise, les tuiles sont couleur tabac, les murs extérieurs adoptent les ocres et
    Image
    Urbanisme

    TROYES, entre Vitrail et Bricorama

    Par Anne-Marie Fèvre, le 27 avril 2023
    La ville champenoise, longtemps endormie entre ses joyaux médiévaux et ses périphéries marchandes, se réveille avec l’inauguration de l’ESTP, grande école des travaux publics, et sa lumineuse Cité du vitrail. Quand on arrive à Troyes, ouf, le quartier de la gare est enfin en travaux ! Devraient surgir là vers 2023 un complexe immobilier avec un hôtel quatre étoiles, une résidence pour seniors, une autre destinée aux étudiants, des commerces… Car, pendant plus de dix ans, cette place a été tristement à l’abandon, des herbes folles poussaient sans gêne dans l’ex-brasserie Barboussat jadis si populaire. En plus, le TER qui relie Paris à Troyes est souvent imprévisible, ou supprimé. Ce n’est pas une bonne réclame pour la ville ! Des préaménagements de cet « îlot gare », futur « pôle d’échange multimodal », l’ont un peu amélioré. Un petit jardin-promenade plaisant, où l’eau court, avec de vrais bancs, de vrais arbres, entraîne mieux vers le centre de cette belle médiévale. Elle si vivante jadis, qui a longtemps été sacrée Capitale de la province et Comté de Champagne à partir de 1418, puis « reine de la maille » vers 1820, est une rescapée. Il a bien fallu la faire revivre, cette princesse ouvrière textile, quand elle est tombée en déclin dans les années soixante-dix. 25 000 ouvriers, surtout des ouvrières, travaillaient dans cette filière qui n’en compte aujourd’hui plus que 3 000, entraînant dans sa chute la métallurgie liée au textile. Entre chômage, usines ancestrales vides, elle a vécu une vertigineuse perte d’identité. Troyes s’est reconvertie en partie vers le commerce pour devenir la capitale européenne des centres de marques, exilés dans ses banlieues. Des usines ont été réhabilitées en logements telle Mauchauffée, rue Bégand. Le roi de la culotte Petit Bateau (groupe Rocher) a résisté, prône le bio et la vente en seconde main pour « changer demain ». Plus récemment, le tricoteur Bugis, France Teinture, les chaussettes Tismail se sont réimplantés. Les voici menacés par la hausse des prix de l’électricité et du gaz1. De cette crise profonde du textile,

    Laisser un commentaire

    seize − 4 =