Constructa, une entreprise hors pair désormais hors père

Présidé durant plus de 40 ans par Marc Pietri jusqu’à sa mort prématurée début 2020, le très atypique groupe familial de services immobiliers est désormais dirigé par un architecte toujours en exercice… son fils Jean-Baptiste Pietri !

Jean-Baptiste Pietri. ©SaskiaLawaks
Constructa a exercé sa passion pour l’humain, l’architecture et la ville d’abord à Marseille et sa région, puis aux USA avant de revenir dans l’hexagone pour participer activement à la requalification des villes moyennes, trop souvent délaissées. Après la tour La Marseillaise de Jean Nouvel, celle de la Porte Bleue – conçue par Jean-Baptiste Pietri – viendra parachever Les Quais d’Arenc. Seront aussi livrées prochainement deux opérations « chorales » au bord de l’eau, Les Jetées à Huningue (Bâle) et Les Carrières Blanches à Dijon.
Une multitude de raisons, donc, pour retracer dans ce numéro le parcours hors norme de ce leader du secteur avec son nouveau président à la double casquette.
NDA. L’histoire de Constructa est suffisamment atypique pour que vous nous la relatiez.
Jean-Baptiste Pietri : Constructa a été créée en 1964. Mon père, Marc Pietri, entre alors dans cette petite entreprise de commercialisation comme secrétaire général avant de la racheter quelques années plus tard et de la développer sur le territoire sud marseillais. À cette époque, il n’y avait pas énormément de projets d’achat sur le secteur, la VEFA 1 n’existant pas alors, on construisait encore l’immeuble en blanc dans lequel on aménageait un appartement témoin avant de pouvoir commencer à le commercialiser. Constructa va devenir un leader régional puis national en matière de commercialisation de logements résidentiels.
À la fin des années 1980, mon père est appelé à la rescousse par plusieurs de ses gros clients français 2 ayant investi aux USA dans des projets immobiliers alors en souffrance. Les USA n’étaient pas l’eldorado qu’ils avaient imaginé et pour certains ce fut plutôt le Far West – un territoire « piégeux » disait mon père – où ils se sont fait dépouiller. Comme eux, le plus grand entrepreneur du monde actuel, Bernard Arnault, y a tenté – en vain – sa chance, après avoir vendu Férinel. Pour essayer de sauver les fonciers « plantés » dans les actifs, Constructa a monté sur place des équipes qui, pour mieux appréhender le marché américain et ses pratiques, vont se familiariser à la gestion immobilière en matière d’asset management et de property management, encore inconnus en France où Constructa les importera. En 1991, l’entreprise redéveloppe avec succès le Coco Walk à Miami (pour le compte de la Banque Worms) – la plus grande référence américaine de centre commercial – en l’ouvrant sur l’extérieur et en y intégrant des cinémas, des restaurants pour lui donner une dimension festive. Cette opération va lancer Constructa aux États-Unis où l’entreprise va rester vingt ans et y produire quelques projets emblématiques que ce soit comme promoteur (1500 Ocean Drive ou Mary Brickell Village à Miami) ou gestionnaire, mais aussi comme AMO 3 pour le compte de tiers. Ce fut notamment le cas pour l’hôtelier Accor qui aspirait à y repositionner l’enseigne Sofitel dans les standards du luxe international. Constructa va ainsi encadrer la construction de leurs établissements à New York et à Chicago (avec Jean-Paul Viguier) et la rénovation de ceux de Washington et Philadelphie.
En 2001, mon père est fatigué de ses allers-retours aux USA, qui plus est la crise est là. Mais il s’est lancé un nouveau défi qui s’appelle Marseille. Il y achète une friche industrielle – anciens entrepôts de Transcausse – sur laquelle il programme l’opération des Quais d’Arenc avec plusieurs tours dont La Marseillaise conçue par Jean Nouvel et livrée en 2018. Il pressent le vrai potentiel de changement de la cité phocéenne qui doit impérativement évoluer. En revenant en France, Constructa reste commercialisateur, Asset et Property manager, assistant à maîtrise d’ouvrage, mais surtout devient promoteur. Davantage progressiste, mon père avait un problème avec ces professionnels dont il n’aimait pas l’état d’esprit. C’est donc via les zones Anru 4 qu’il décide de s’attaquer à la maîtrise d’ouvrage et crée, pour ce faire, une filiale appelée Propria pour bâtir des logements dans ces zones en mal-être qu’un ministre visionnaire – Jean-Louis Borloo – veut rénover, requalifier. Correspondant à sa fibre de projet et de partage, il s’y investit pleinement en fonction des opportunités et sans visée hégémonique ; le succès est au rendez-vous. Constructa s’est toujours concentrée sur le rapport humain et sur le projet, ce qui explique sa performance. D’ailleurs, c’est pourquoi quand j’en reprends la présidence, je rebaptise l’activité promotion « Les éditeurs urbains », profitant tout simplement de l’héritage de Constructa et de projets emblématiques menés avec des architectes de renom tels que Michael Graves, Jean Nouvel ou Roland Carta. Faire des projets différents et beaux ! Il y a plus de valeur ajoutée accessible à tout le monde dans un plus beau bâtiment : un bel immeuble, une belle façade sont partagés par toute la rue où ils rayonnent et entraînent par capillarité un nivellement par le haut. Mais c’est aussi via le développement durable (maintenance plus pérenne et moins coûteuse) ou encore la plus-value patrimoniale et financière puisque le bien se revendra plus cher. Sa commercialisation est aussi plus aisée. Il « supporte » également les ambitions urbaines des élus locaux.
NDA. Si Marseille a été son port d’attache, Constructa n’a pas focalisé sa stratégie de développement sur les grandes métropoles.
J.B.P. : Parce qu’il était hors sentier, hors norme, mon père s’est toujours intéressé aux villes moyennes, car il refusait de participer aux super consultations à plusieurs centaines de millions d’euros où tout le monde se battait et qui manquaient de sincérité. Du coup, il attendait que des villes moyennes (alors souvent délaissées et dépréciées) l’appellent – ce qui était d’ailleurs souvent le cas. Il y avait un rapport très souvent plus direct avec les élus qui, portant une vision pour leur ville, cherchaient un chevalier blanc ou un entrepreneur assez fou et ambitieux pour parier sur leur territoire trop peu regardé à l’époque.
En gros, pour parler de beautés cachées sur le territoire national, il n’y avait pas que le PUCA ou la première couronne. Aujourd’hui on parle de Dijon ou de Montpellier – on pourrait aussi parler de Marseille à l’époque, une grande ville alors ostracisée. Mais les choses évoluent heureusement : il y a encore peu, il était ringard d’habiter la province, aujourd’hui c’est de vivre à Paris. Le monde s’est inversé pour plein de raisons. D’abord parce qu’il y a eu, depuis une dizaine d’années, un énorme travail préparatoire autour de la métropolisation des capitales régionales (Nantes, Bordeaux, Marseille…). L’arrivée du Covid a marqué la fin d’un premier cycle d’expansion et de requalification de ces grandes villes régionales. On a commencé à regarder les choses différemment, notamment quant à la rapidité avec laquelle s’étaient opérés ces changements, probablement de façon trop libérale. Les gens ont dès lors réfléchi à maximiser leur capacité d’achat et, à cause ou grâce au Covid, se sont autorisés à regarder ailleurs. La pandémie nous a poussés à nous reconnecter avec la nature, nos familles et nos vies, et nous a fait reconsidérer la hiérarchie de nos besoins. Si Bordeaux et Marseille étaient encore attractives, Le Mans, Tours… faisaient aussi partie des solutions où trouver une meilleure qualité de vie avec un logement plus grand, plus de sécurité. Face à la gentrification non seulement de la ville, mais aussi du monde, un bon nombre de gens se sont sentis déclassés. Qui a de nos jours les moyens d’habiter Paris intramuros, sûrement pas une famille. Tant en termes d’habitat que de sécurité, mais aussi d’accès aux sports et à la nature, les gens ont désormais l’impression que les sacrifices qu’ils font pour continuer à y vivre n’en valent plus vraiment la peine. Et puis il y a à côté l’avènement définitif de la mobilité qui n’est plus une mobilité de loisirs mais désormais professionnelle. On accepte de faire un trajet aller-retour une fois la semaine Marseille-Paris ou Lyon-Paris parce que le télétravail est enfin passé dans les mœurs et les usages des entreprises, après avoir été expérimenté lors des confinements. Il n’en reste pas moins que toutes les professions ne peuvent pas télétravailler, d’où forcément une certaine forme d’injustice entre ceux qui le peuvent et les autres (infirmière, chef de chantier, camionneur…). On est au début d’un indispensable réaménagement du territoire au regard du réaménagement des modalités de travail. C’est une chance extraordinaire pour les villes moyennes qui sont souvent mieux gérées et moins victimes d’idéologie politique que les métropoles. Ce qui leur manquait c’était le flux économique pour retrouver un dynamisme. Elles devront anticiper le risque de gentrification de la part des classes moyenne et moyenne supérieure au détriment d’une population locale plus modeste qui, ne parvenant plus financièrement à se loger sur place, risque de se sentir encore plus déclassée. On commence à voir des manifestations dénonçant ce phénomène – comme à La Rochelle – qui jusqu’à présent concernait essentiellement les cités balnéaires. C’est un vrai changement de paysage général. Il n’y a pas de raisons pour que ces petites villes moyennes régionales ne soient pas réinvesties, revalorisées. Metz et Lens ont été relancés au travers de nouveaux programmes culturels. Il est fort probable qu’après le renouveau des villes moyennes, on va partir à la reconquête des villages !
NDA. Votre expérience d’architecte va-t-elle vous inciter à faire des choses différemment en matière de maîtrise d’ouvrage ?
J.B.P. : J’ai désormais beaucoup de responsabilités en un moment où la conjoncture n’est pas des plus favorables, mais la caractéristique des éditeurs urbains se révèle être une remise en forme actualisée de ce que faisait mon père, de ses ambitions architecturales. Je suis convaincu que l’avenir est, plus que jamais, à l’architecture, que l’ambition architecturale est en train de rentrer dans les mœurs.
- Vente en état futur d’achèvement (sur plans)
- SAE (l’ancêtre d’Eiffage), la Banque Worms, la Générale des eaux, la Compagnie des entrepreneurs…
- Assistance à maîtrise d’ouvrage
- Agence nationale pour la rénovation urbaine
Constructa S.A.
134, boulevard Haussmann
75008 Paris
Tél. : +33 (0)1 56 59 64 00
www.groupe-constructa.fr

Quartiers revisités, le renouveau

Sous le chaume, une école publique
Par Sipane Hoh, le 15 novembre 2023Dans la commune de Saint-Pabu, l’agence d’architecture Guinée*Potin a réalisé une école publique et une salle multi-activités qui adoptent le lieu et se distinguent par ses diverses qualités environnementales.
Située à 27 km au nord de Brest, la commune de Saint-Pabu se trouve sur la rive gauche de l’embouchure de l’aber dénommé Aber Benoît. C’est dans un contexte urbain peu dense et un environnement rural très caractéristique que l’on découvre le projet de l’école publique. Cette dernière a pris place sur un premier plateau, au niveau de l’entrée sud de l’espace Roz Avel et de la cantine actuelle. Quant à la salle de sport, elle s’implante sur un second palier situé plus haut sur le coteau, tandis que le troisième plateau est dédié à une zone de stationnement existante et une réserve foncière de la Mairie. La différenciation des programmes était donc une évidence pour les architectes qui ont profité du jeu de décalage du site pour implanter avec soin leur projet. Il suit le tracé d’une allée piétonne transversale qui dessine une épine dorsale sur un axe nord / sud et articule les programmes nouveaux mais aussi les équipements existants. L’école et la salle multi-activités sont implantées dans un contexte qui garde son âme, mis en exergue à travers des cheminements, des traverses et des allées. Ce projet, ancré dans son milieu, exprime la signature de l’agence Guinée*Potin dont la démarche consiste à relier avec adresse architecture et contexte.
Trois entités en une
L’ensemble puise ses sources dans la localité où il se trouve. En effet, la réalisation réinterprète de façon contemporaine les aspects vernaculaires du site. « Le talus, présent sous différentes formes sur le site et ses alentours, est une figure paysagère caractéristique du lieu. Le projet conserve ces talus parallèles à la pente, les prolonge et en crée de nouveaux pour structurer le terrain en différents plateaux, sur lesquels viennent se glisser les bâtiments » raconte l’architecte Hervé Potin,

Dans le labyrinthe du design 80
Par Anne-Marie Fèvre, le 22 juin 2023Expositions et livres se bousculent pour célébrer la décennie qui a redéfini le design, de Nestor Perkal, Philippe Stark à Martin Szekely… Retour sur des carambolages foisonnants.
Il y a toujours eu de sempiternels engouements pour le passé ! La nostalgie cette fois s’empare des années quatre-vingt, temps revisités comme légers, démocratiques, libres. Elles ont certes marqué la fin des dogmes idéologiques, ouvrant à la «complexité» du monde théorisée par Edgar Morin. C’est vrai qu’elles ont été exubérantes et festives ! Cependant ces années furent aussi mal aimées : années fric, frime, clip, pub, look, coke… Années fastes aussi de l’État partenaire de la culture, mais apparition du relativisme culturel, de l’individualisme, du libéralisme, de l’ultra-starisation, de la communication. «On nous Claudia Schiffer» chantera plus tard Souchon en guise de bilan en 1993. Cet «âge d’or» fut en plus percuté par le Sida, les SDF, Tchernobyl… Mais en 2022, période de toutes les sobriétés et angoisses, ces eigthies sont revues comme une extravagante embellie qui fait envie, chantée par Chagrin d’amour : «Chacun fait, fait, fait, C’qui lui plaît, plaît, plaît…»
C’est particulièrement du côté des musées, galeries de design et de l’édition que le design fait un grand retour. Car à l’époque, redéfini, il explose. Le mot est enfin utilisé en France. Il est représenté par une star populaire, Philippe Starck, l’objet aussi quotidien que sa brosse à dents s’arrache en 1989 1.
Nestor Perkal, un éclaireur
Passons d’abord à Bordeaux. Au Musée des Arts Décoratifs (Madd), Nestor Perkal a été présenté en « éclaireur » jusqu’au 8 janvier, lui qui a si bien saisi cette période 2. Et cela tombe à pic, une première biographie lui est consacrée chez Norma 3 (voir encadré). Sa naissance en 1951 en Argentine, sa formation d’architecte à Buenos Aires, sa passion pour l’art cinétique,

TROYES, entre Vitrail et Bricorama
Par Anne-Marie Fèvre, le 27 avril 2023La ville champenoise, longtemps endormie entre ses joyaux médiévaux et ses périphéries marchandes, se réveille avec l’inauguration de l’ESTP, grande école des travaux publics, et sa lumineuse Cité du vitrail.
Quand on arrive à Troyes, ouf, le quartier de la gare est enfin en travaux ! Devraient surgir là vers 2023 un complexe immobilier avec un hôtel quatre étoiles, une résidence pour seniors, une autre destinée aux étudiants, des commerces… Car, pendant plus de dix ans, cette place a été tristement à l’abandon, des herbes folles poussaient sans gêne dans l’ex-brasserie Barboussat jadis si populaire. En plus, le TER qui relie Paris à Troyes est souvent imprévisible, ou supprimé. Ce n’est pas une bonne réclame pour la ville ! Des préaménagements de cet « îlot gare », futur « pôle d’échange multimodal », l’ont un peu amélioré. Un petit jardin-promenade plaisant, où l’eau court, avec de vrais bancs, de vrais arbres, entraîne mieux vers le centre de cette belle médiévale. Elle si vivante jadis, qui a longtemps été sacrée Capitale de la province et Comté de Champagne à partir de 1418, puis « reine de la maille » vers 1820, est une rescapée.
Il a bien fallu la faire revivre, cette princesse ouvrière textile, quand elle est tombée en déclin dans les années soixante-dix. 25 000 ouvriers, surtout des ouvrières, travaillaient dans cette filière qui n’en compte aujourd’hui plus que 3 000, entraînant dans sa chute la métallurgie liée au textile. Entre chômage, usines ancestrales vides, elle a vécu une vertigineuse perte d’identité. Troyes s’est reconvertie en partie vers le commerce pour devenir la capitale européenne des centres de marques, exilés dans ses banlieues. Des usines ont été réhabilitées en logements telle Mauchauffée, rue Bégand. Le roi de la culotte Petit Bateau (groupe Rocher) a résisté, prône le bio et la vente en seconde main pour « changer demain ». Plus récemment, le tricoteur Bugis, France Teinture, les chaussettes Tismail se sont réimplantés. Les voici menacés par la hausse des prix de l’électricité et du gaz1.