L'événement

Son nom de Grand Rex en or

Par Anne-Marie Fèvre, le 1 avril 2024.
Un éclairage subtil, plus fidèle à celui de 1932.
Un éclairage subtil, plus fidèle à celui de 1932. © Laurent Kronenka

Du blanc, du noir et du doré comme en 1932 ! Avec sa façade réinterprétée, le mythique cinéma Art déco parisien retrouve subtilité et luminosité. Visite éclairante avec l’architecte Grichka Martinetti.

Pour les Parisiens de toutes générations, c’est une énorme madeleine en staff et étoiles où ils ont croqué films et spectacles enchanteurs. C’est le Grand Rex ! En flânant sur les Grands Boulevards, on a pu constater que ce palais du IIe arrondissement, tout dédié au cinéma depuis 1932, a été embelli en décembre 2022, il fêtait ses 90 ans.

« Mon client, c’est le bâtiment », affirme l’architecte Grichka Martinetti 1, qui a été chargé avec Stéphane Thomasson 2 de la mue extérieure du temple Art déco. Bien sûr, il a œuvré pour Alexandre Hellmann, directeur général de ce complexe de cinéma-divertissement-culture et avec l’équipe du Rex. « Nous ne sommes intervenus que sur la façade, précise -t-il, et nous avons assuré l’étanchéité déficiente des toitures. »

Au départ en 2020, il n’était question que d’un ravalement. Frustrant. Mais comme la façade a été inscrite aux Monuments historiques par Jack Lang en 1981, il a fallu jouer entre la Drac qui avait son petit mot à dire et un projet privé. Devant ce patrimoine du XXe siècle, un « syncrétisme » maintes fois retouché dans les années 50, 70, bien trahi dans les années 80, les architectes se sont d’abord interrogés.

Est arrivé le Covid. « Nous avons profité de cet arrêt de notre travail pour faire un diagnostic, explique Grichka Martinetti, pour mener une étude patrimoniale. Nous avons consulté les nombreuses archives numériques des années 20 et 30, 50, en 70. Il y a beaucoup de photos du Rex, des documents noir et blanc, puis en couleur à partir de 1941. » Grichka, qui a vu là les films Disney dans son enfance, s’est plongé avec délectation dans une enquête. Dans l’histoire.

Dans les Années folles de 1926, l’irrup­tion du cinéma sonore et parlant entraîne la construction ou la mutations de théâtres en cinémas, tel le Gaumont Palace à Paris (détruit en 1973). C’est alors que Jacques Haïk, ancien distributeur de Charlot dont il a inventé le nom, importateur de films américains, propriétaire du Colisée et de l’Olympia, envisage de créer l’un des cinémas les plus grands et les plus innovants d’Europe à Paris. Il en confie l’édification à l’architecte français Auguste Bluysen, un styliste Belle Époque, auteur des deux tours de la biscuiterie LU à Nantes en 1909 et du casino du Touquet. Et tourné vers l’Amérique, il fait aussi appel à l’Américain John Eberson, auteur du Majestic Theatre à Houston (1923) qui illustre en premier son concept de salle « atmosphérique ». Ils vont s’inspirer du Radio City Music Hall de New York. En construisant, ces deux bâtisseurs vont synthétiser une architecture à la fois rationnelle et très décorée, avec des éléments navals et médiévaux, en donnant une place prépondérante à la lumière. Structure en acier, charpente remplie de briques, éléments de béton coulé se mêlent aux fresques et aux ornementations. Ils inventent la modernité Art déco en France, le Rex en est le dernier survivant en France.

Après seulement vingt mois de travaux, le Roi des cinémas 3 est inauguré le 8 décembre 1932. 3 300 invités, projection des Trois Mousquetaires, film d’Henri Diamant-Berger dans sa version parlante, et Louis Lumière en invité d’honneur. Tout y est vu en « grand » ! Surtout la grande salle « atmosphérique » sur trois étages qui occupe la quasi-totalité de l’espace de la parcelle. Elle restitue l’ambiance souhaitée par Jacques Haïk. En Franco-Tunisien, il a souhaité un jardin méditerranéen Art déco, non sans kitch, pour des Mille et Une Nuits cinématographiques sous la voûte céleste, où les étoiles scintillent, les planètes brillent. Les grands fauteuils en cuir des années 60-70 sont aussi une signature. En 1957, surgit un escalier mécanique innovant, immortalisé par Gary Cooper et Mylène Demongeot. La grande cabine de projection, singulièrement en excroissance côté rue Poissonnière, augmente le nombre de sièges de la grande salle, telle une échauguette moderne. De 1974 à 1984, 6 nouvelles salles de projection sont créées, portant leur nombre à 7. En 74, la discothèque le Rex Club ouvre ses portes à la place du dancing Le Rêve. Du côté technologique, le Grand Large, plus grand écran de France pendant plus de vingt-cinq ans (260 m2), est installé dans la grande salle en 1988. Le Grand Bleu de Luc Besson est projeté trois ans. Le Grand Rex est une « expérience », une immersion avant l’heure.

En juin 2023, éclairée par le soleil du matin, la façade a retrouvé de la netteté, les transformations ne sont pas criardes. Pari réussi pour les architectes ! « Nous ne voulions pas un retour à l’identique, affirme Martinetti, on a récupéré, recomposé… La ville a bougé, il fallait trouver un équilibre subtil entre le passé et le futur. » Après nettoyage, grattage, en archéologues-détectives, les concepteurs ont exhumé beaucoup d’indices pour démasquer ce bâtiment. En restaurant le ton blanc-crème, le noir et le doré de la façade d’origine, ils ont éliminé beaucoup du rouge 70. Ils ont découvert et restauré la grande marquise d’origine en tôle boulonnée. Les écrans publicitaires symboles ont été conservés. L’enseigne drapeau a été judicieusement déplacée. Les ampoules, à leds, restent de type Edison, fidèles à l’esthétique du point lumineux des cinémas des années 30. Finis les néons 50 ! Les typographies des lettres ont été redessinées. Quant à l’enseigne reine sur le toit, elle a retrouvé son scintillement doré, et sa rotation unique.

Il faut à nouveau regarder et visiter 4 le Grand Rex qui avait été si maquillé. Quand on y pénètre, il y a un contraste saisissant entre l’extérieur épuré et l’intérieur si orné. L’aménagement de l’accueil reste disparate, il ne reste pas grand-chose de la décoration intérieure de Maurice Dufrène, du sculpteur et verrier Henri-Édouard Navarre. Quelques traces du marbre vert antique dans l’escalier… et les fresques d’Henri Mahé, avec leurs secrets, dont un autour de Charlot.

La mue du Grand Rex n’est pas terminée. Lui qui a connu le déclin entre sa désuétude et le Covid doit se remettre à briller. Le directeur Alexandre Hellmann souhaite en faire un « Movie Palace ». En revenant « au cinéma élégant des années 30 » 5. En dépassant « largement les frontières des salles de cinéma ». Spectacle, concert, convention d’entreprise, événement, le fameux Rex Club, escape game inviteront à « une expérience complète, à passer toute une journée au Grand Rex grâce à sa grande diversité d’activités ». Un restaurant devrait ouvrir sur la terrasse où, entre tour et toits, la vue est exceptionnelle.

Grichka Martinetti semble ravi de prolonger encore son investigation. « Nous allons retravailler la grande salle, pour qu’elle soit plus flexible, pour accueillir du public debout. » Ainsi va le navire Rex sur les Grands Boulevards.

  1. Agence PNG et architecte patrimonial.
  2. Agence RAF.
  3. Rex (roi), mode des mots latins en trois lettres tel Lux !
  4. Visites guidées, Rex Studios.
  5. Émission Iconic Business, 12 mai.
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    Grand Rex

    1, bd Poissonnière

    75002 Paris

    legrandrex.com

    Visites au Rex Studios

    5, bd Poissonnière

    Atelier PNG Architecture

    12, rue Bourgon

    75013 Paris

    Tél. : 01 42 39 94 64

    Retrouvez cet article dans le nda numéro 54
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    Féminin pluriel

    Par Nat Lecuppre, le 23 octobre 2024
    Mondialement connue pour sa démarche féministe, écrivaine, ancien mannequin, peintre et actrice, ambassadrice de l’ONU, Waris Dirie a longtemps combattu les mutilations sexuelles. Son fer de lance est la cause féminine. Amoureuse de Paris, de l’art, de la connexion spirituelle et de la nature, il était inéluctable qu’elle s’associe avec le RSG Group pour ouvrir dans le XVIe arrondissement de la capitale un lieu dédié au sport, aux femmes et à l’art : Heimat. Un projet atypique. Heimat, dont la signification est « foyer » en allemand, incarne l’image désirée par Waris Dirie. Elle voulait offrir un lieu uniquement comme chez soi pour les femmes afin qu’elles fassent du sport, se ressourcent, se rencontrent, partagent leurs idées et leur amour pour l’art. « Heimat est un lieu nouveau et exclusif où l’on se reconnecte avec son corps et son esprit. » Waris Dirie. Une adresse sélecte inédite. Avant Heimat, au 35, rue Paul Valéry, il y avait le musée Dapper. Ce muséum était consacré à l’art africain. Waris Dirie a souhaité conserver cet héritage en intégrant dans ce bâtiment chargé d’histoire, une collection d’œuvres d’artistes féminines contemporaines et de la diaspora. Artness, réseau d’artistes internationaux, et Waris Dirie sélectionnent les œuvres exposées et leurs mises en vente. On y trouve également des créations de Waris Dirie, inspirées de l’Afrique, de la nature et qui représentent la paix et le paradis. Les recettes sont reversées à la fondation Waris Dirie Desert Flower. Une expérience de fitness immersive. Dédié aux femmes, cette expérience réinvente le bien-être et l’entraînement. La devise de l’établissement : Proud Female Fitness. « Je voulais créer un très bel espace géré par une femme forte pour des femmes fortes. » Waris Dirie Côté fitness, cinq espaces spacieux se répartissent dans le bâtiment. On trouve aussi un espace poids libre et cardio. Des offres sur mesure sont proposées pour élever l’âme et le corps. Chaque membre est sélectionné selon son dossier d’inscription. Une salle permet d’organiser des événements hebdomadaires. Les lieux sont pensés comme une boutique-gym. Les équipements ultra nec, l’éclairage intelligent, le son surround immersif, les cours par des professeurs talentueux, coach personnel diplômé et expert aux dernières tendances et découvertes du secteur… font de Heimat un lieu prisé et très haut-de-gamme. On peut y pratiquer diverses activités (Pilates, barres, kinesis, yoga, cours collectifs de fitness…). Le coach personnel accompagne et forme un binôme avec sa cliente. Un programme personnalisé et adapté est créé. Il a les compétences de diverses spécialités (réhabilitation après blessure, transformations extrêmes, conseils nutritionnels complets, préparation à la compétition, préhabilitation…). Pour renforcer le confort des membres, on trouve un sauna sec, une salle de relaxation à l’éclairage atmosphérique et avec un jacuzzi. Les vestiaires sont privés et similaires à ceux des boutiques. Un bar à rafraîchissements avec café barista au rez-de-chaussée propose des collations d’exception aux diverses textures et saveurs. Pour Waris Dirie, les femmes changeront le monde par la paix, le respect et l’amour. On ressent cette vision à Heimat. On y est comme chez soi. Ce temple du sport et du bien-être a un supplément d’âme. Probablement parce qu’il est exclusivement féminin !

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