Créateur

Moi, canapé, diva des divans

Par Anne-Marie Fèvre, le 29 avril 2024.
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« Bomboms » de Joana Vasconcelos, du Roche Bobois à manger. © DR

Depuis le Moyen Âge, j’en ai vu de toutes les matières, couleurs, et formes ! En 2024, riche de mon long passé, je veux bien être indémodable et écolo mais ni patapouf ni standard, je veux rester exceptionnel et inventif.

Histoire.

Moi, canapé, j’ai connu tellement de transformations, de savoir-faire, de modes – ou pire de tendances – depuis mes origines ! Dans quel état j’erre en 2024 ? Mon histoire est si longue. Mon nom de canapé viendrait de « kônôp », « moustique » selon les Grecs de l’Antiquité. Moustique ? Ils sont fous ces Grecs ! Mes vrais ancêtres seraient plutôt les bancs coffres du Moyen Âge en bois sculpté. Ce n’est qu’au XIXe siècle que se codifient mon histoire et styles successifs. Je serai roman, Renaissance, Louis XV… Au XVIIIe siècle, ouf, un certain messire Antoine Furetière me définit clairement : « Une sorte de chaise à dos, fort large, où il peut s’asseoir deux personnes à la fois » 1.

Styles !

Avec les rois, Louis XIII et les suivants, je vais connaitre en France bien des fastes : le plaisir du capitonnage, des matériaux et tissus précieux, je vais être travaillé par des artisans réputés. Je représente et supporte les séants du pouvoir ! À la Révolution, je serai détruit ou réemployé, puis je redeviendrai Empire, Restauration… Mes synonymes se diversifient : causeuse, divan, méridienne, sofas, tête-à-tête, indiscret, duchesse brisée, ottomane, canapé à joues, confident… De style, je le suis encore aujourd’hui, sous forme de témoin de mes différentes périodes, j’habite dans les châteaux, chez les antiquaires et surtout dans les musées, dont le MAD de Paris 2… Je suis aussi réinterprété ou souvent copié.

Au XXe siècle, j’ai particulièrement aimé le style Art Nouveau qui m’a paré d’ornementations végétales. Puis l’Art Déco, le Bauhaus allemand m’ont fait devenir moderne. Avec le « Less is more », mes lignes claires, machiniques et en métal auraient pu m’envoyer à l’hôpital. J’étais vexé ! J’ai résisté en L2 et L3 de Le Corbusier, encore réinventé chez Cassina. Je suis Immortel.

Immortel en « L3 », Le Corbusier, 1920, Cassina. © DR

Pop.

Puis tout a changé après la Seconde Guerre mondiale. L’American Way of Life gagne l’Europe à la fin des années 1950. L’irruption de la télévision dans les intérieurs exige que je devienne très confortable pour regarder ce petit écran, on s’affale sur mes ressorts. Je règne sur des tables basses, des poufs… En mousse recouvert de jersey, en cuir, je suis à l’aise sur des moquettes (que l’on fume souvent). Avec le « Design pour tous », je suis popularisé par la société de consommation ! Organique support de l’hédonisme 69, je deviens pop ! Le si inventif Pierre Paulin m’a vu en Déclive ! Les Italiens, d’Ettore Sottsass à Gaetano Pesce, m’ont fait flirter avec des supports ovnis et narratifs. Même si Jacques Tati m’a caricaturé dans son film Mon oncle, j’ai aimé à la folie cette période si dingue.

Sculpture.

Avec les années 1980, le postmodernisme m’a vénéré tel une œuvre artistique. Je suis devenu barbare avec Garouste et Bonetti, sculpture avec Martin Szekely. Le mouvement Memphis m’a même orné de stratifié plastique ! Et me voilà mis dans la niche élitiste de la pièce unique ! Cela se calme un peu dans les années 1990, on m’a soigné à la mode zen, tandis que la société de communication s’organisait. Le design étant international, j’ai subi tant d’influences, pour mon bien au début, puis je suis devenu « style international ». Global, standard !

Sculpté dans les années 1980 par Martin Szekely. © Galerie Jousse, 2023

Plateforme.

Mais je n’ai pas vu venir Internet ! Cela va me bousculer encore. C’est matali crasset ou les frères Bouroullec qui me l’ont fait découvrir en France fin 1990, avec des meubles mis en réseaux ou combinatoires. À partir des années 2000, de plateformes en cabanes, je suis déstructuré, hybridé, modularisé, flexibilisé. Je ne sais plus où j’en suis de mes structures, piètements, rembourrages, mais je participe à ces mutations radicales de la vie quotidienne devenue nomade. Autre révolution, c’est l’écologie. Dès le début, j’ai été à fond pour, mes ancêtres rustiques en bois aussi. Pourtant, comme j’ai adoré le plastique !

Outdoor.

Je fais banquette depuis longtemps dans les restaurants, les bars et les hôtels. On me range dans le « Contract » aujourd’hui ! J’ai longtemps été un numéro (442-3), voilà que je suis souvent nommé en anglais tel Pumpkin ; pourquoi pas « Citrouille » ? Je suis de plus en plus « outdoor ». Je m’aère en Bubble Club de Starck chez Kartell. Et j’intègre les e-bureaux, où l’on veut travailler dans une ambiance flexible et conviviale.

Je m’aère, outdoor, avec Calipso. © Ethimo

Rebut.

Mais il y a pire. Longtemps, on m’a réemployé, on a récupéré mes matériaux. Puis, avec la société kleenex, on m’a jeté tel un encombrant, fait cramer sur les bûchers des décharges. Mes mousses et mes colles étaient inflammables. Les règlementations, la HQE, la RSE ont fini par venir à mon secours. On me réemploie de plus en plus, on me restaure pour la seconde main, j’ai une deuxième vie chez les éditeurs, dans les vide-greniers et les ressourceries.

Star.

Mais je parle ! Et je n’évoque pas mes jours de gloire, une fois par an à Milan. Au Salone del Mobile, je rayonne sur des podiums ! Je ne suis que « nouveauté » ! Le monde entier me caresse, me monte dessus, j’ai mal à mes ressorts. Les tendanceurs me font tourner en rond. Je bondis de mon rembourrage quand je suis si honteusement recopié. Je me souviens comme j’étais joyeux et iconoclaste avec le mouvement Memphis ; ou marrant et baroque avec les Brésiliens Campana, chez Edra ! En Ruché d’Inga Sempe (Ligne Roset), je me plais bien, les designeuses me réinventent, de matali crasset à Constance Guisset.

Patapouf.

En 2020, il y a eu le drame du Covid ! Triste à dire mais ce fut mon triomphe ! Tous les gens confinés se sont vautrés sur moi. J’ai été beaucoup remplacé, commandé en ligne ! Mes formes se font alors de plus en plus généreuses, dans un certain style « patapouf » ! Je m’étale, je suis « bold », XXL, curved (incurvé), organique, flex, panoramique, j’abolis les frontières entre intérieur et extérieur, vous rapproche de la nature de tous mes matériaux vertueux. Tel un radeau d’intérieur greffé à une méridienne, mes volumes vous dorlotent dans « une bulle de douceur ». Je suis un œuf, un cocon, un nid, selon les sociologues ! On m’acoquine parfois avec des coussins Xanax ou Prosac, tel un anxiolytique ! Et je deviens immersif, j’abrite les métavers ! Ciel ! je suis squatté par vos avatars, complice des vidéos ASMR 3.

Même des coussins Xanax et Prozac ! © DR

Revival.

Mais une tendance ne dure pas. Si je suis encore luxe-patapouf avec la collection Versace Home, il semblerait que je m’aère un peu avec le Sengu Bold Sofa de Patricia Urquiola chez Cassina. Le Nawabari vu par BIG (Bjarke Ingels Group) boudine encore, mais se décolle du sol, chez Boconcept. En septembre à Maison & Objet, je me suis réjouis d’être célébré en Duo Seat+Lamp par les Belges Muller Van Severen, élus créateurs de l’année. Leur « conversation » élémentaire et éclairée me redonne le moral ! Sur le thème Enjoy, le salon nous a inondé de couleurs et mixé tous les revival 70, 80. Un « hédonisme exalté » ? Un peu artificiel ? Chez Roche Bobois, je fais boum avec Bomboms acidulés ou en réglisse de Joana Vasconcelos, on me mangerait ! Vous trouvez cela drôle ?

Ténu.

Donc, en 2024, j’exige d’être matière durable, bois, métal, terre, paille… Ou en composite bio, tissus naturels, bien sourcé, local. Je ne veux plus être maintream obèse et lavé au greenwashing ! Et moins pollué par le Net. Indémodable on me veut, mais encore faudrait-il que je rime avec un beau dessin, avec l’inventivité des Eames (Vitra), de Scarpa (Cassina), de Michel Ducaroy en Togo (Roset), et plus récemment, avec Riace des frères Bouroullec de 2022 (Magis), un trait ténu qui me donne de la tenue… Je sais, je suis exigeant, voire un peu snob, narcissique. Je décrypte tellement tous les process de ma conception, que je devrais être mon propre créateur. Mon auto-créateur. 

  1. Guide des styles de Jean-Pierre Constant et Marco Mencacci, Hachette, 2018, 35 euros.
  2. MAD, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, 01 33 55 57 50, madparis.fr.
  3. Exposition au Design Museum de Londres, en 2022,
    www.en-vols.com/inspirations/exposition-asmr-musee-design-londres/
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    Architecture, l'esprit du lieu

    Franck Genser un artiste hors pair

    Par Nat Lecuppre, le 14 août 2024
    Une vision “Gestalt”. En 2015, cet ingénieur de formation et entrepreneur a créé à Paris son atelier de création. Il a également suivi un parcours de Gestalt-thérapeute, qui lui sert de source d’inspiration dans ses œuvres. Rappelons que cette méthode thérapeutique, mise au point par Fritz Perls dans les années 1950, prend en compte l’être humain dans sa totalité (son physique, son mental, ses émotions et ses relations sociales). C’est la science de la connaissance de soi pour mieux vivre. Franck Genser laisse libre cours à sa créativité et son imaginaire pour créer son mobilier. Il tient compte de la perception. L’artiste allie fonctionnalité, art et émotion. Il précise même qu’il est fasciné par l’âme des objets et toutes les dimensions de leur influence sur l’individu. Son fil rouge est l’interaction constante de l’être humain avec son environnement. Pour lui, nos meubles deviennent familiers et se transforment en « meubles de compagnie ». Des créations intemporelles et contemporaines. Ses œuvres d’art sont des sculptures qui captent la lumière et interpellent les regards. Elles associent l’excellence et l’artisanat d’art, les matières nobles (du noyer, du parchemin, du marbre, de la laque japonaise) et les prouesses technologiques. Sa collection Pouvoir incarne la puissance avec le choix des matériaux utilisés, les courbes, les perspectives, le toucher et les volumes. Un atelier laboratoire. Pour pouvoir exprimer sa créativité, le designer a fait l’acquisition en 2021 d’un grand appartement de 200 m2 au premier étage, haut de plafond et inondé de lumière naturelle. Situé au 121, boulevard Saint-Germain à Paris, l’espace est un écrin pour ses œuvres et un lieu de vie. Ses équipes sont pluridisciplinaires et composées d’ingénieurs et d’artisans d’art. Les lieux sont chargés d’histoire. La précédente propriétaire était la psychanalyste du célèbre Yves Saint Laurent. L’appartement sert de showroom privé. Il a eu la particularité d’avoir des plafonds réalisés par le décorateur de théâtre des années 1960, Jacques Camuratti. Les coloris (pétrole, bronze, bleu paon et ocre) sublimaient les lieux. Vous pouvez y découvrir la collection Pouvoir avec le bureau Chumtak, la table à manger Shogun, la lampe Toutaime, la chaise console Désolé, la chaise Tétralobite, la suspension Cloud, l’étagère Scrumble, le canapé Chance, la table basse Piscine, la table à manger Sous-Bois, la table basse Onishi, la commode Jelly et la table de travail Vésuve. La collection est également en vente sur l’e-shop du designer (www.franckgenser.fr). Franck Genser est d’ores et déjà le maître qui crée aujourd’hui le futur de notre époque. L’artiste ne cessera de nous concevoir des formes nouvelles tout en mettant au cœur de son travail l’utilité psychologique de l’objet.
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    Architecture, l'esprit du lieu

    Un écrin architectural pour Roberto Coin

    Par Nat Lecuppre, le 22 avril 2025
    Roberto Coin, joaillier italien, vient d’ouvrir les portes de son flagship parisien au 25, avenue Victor-Hugo, dans le 16e arrondissement. La conception de ce lieu a été confiée au studio de design et d’architecture Oitœmponto. Les designers fondateurs du studio Oitœmponto, Artur Miranda et Jacques Bec, ont une démarche architecturale disruptive qui se retrouve toujours dans leurs réalisations. Dans ce projet, ils cassent les codes traditionnels de l’univers de la joaillerie et créent un environnement immersif chaleureux et élégant. Ils conjuguent touches parisiennes, asymétrie et raffinement avec harmonie. La boutique répartie sur deux étages est accueillante et vous plonge dans l’émerveillement. Sa façade est singulière. Elle se caractérise par son irrégularité équilibrée et pensée. Elle est composée d’éléments métalliques dorés et une d’immense devanture vitrée. Les architectes-designers ont imaginé les espaces comme un salon parisien chic et raffiné. Les matériaux retenus sont nobles et précieux. Le mobilier est réalisé sur mesure. Des panneaux en bois de peuplier se marient avec des surfaces texturées en soie bleu vénitien. Un plafond aux détails en feuille d’or ainsi qu’un sol géométrique tufté à la main de couleur mauve renforcent l’ambiance de luxe discret. Une attention est portée à l’éclairage afin qu’il valorise les bijoux exposés tout en préservant l’atmosphère tamisée et chic des lieux. Au centre de la boutique trône un lustre en cristal de Murano créé sur mesure. Maquillé de poudre d’or, il est fabriqué par la maison Véronèse. L’œuvre majestueuse est suspendue entre les deux étages. Elle sublime les espaces et le design intérieur. Le flagship de Roberto Coin est une ode à l’élégance italienne. Il met en exergue également l’audace des architectes qui ont su conjuguer raffinement, élégance, fonctionnalité, l’ADN de la marque Roberto Coin et l’esprit parisien dans ses moindres détails, mais surtout… dans un ton juste.
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    Architecture, l'esprit du lieu

    Plantez en ville avec Brio

    Par Nat Lecuppre, le 7 janvier 2025
    L’agence de design global Brio a accompagné Plantes Pour Tous pour son implantation physique en plein cœur de ville. Elle a imaginé le concept retail à partir d’une marque Digital Native Vertical Brand (100 % digitale). Genèse de Plantes Pour Tous. Léo Simalla et Julien Morelli, deux architectes paysagistes, passionnés de végétation, font le constat qu’il est difficile de trouver des plantes à des prix abordables et de bonne qualité. En 2017, ils organisent lors d’un week-end une vente éphémère de plantes à bas prix. Couronnée de succès, cette manifestation les encourage à créer la marque Plantes Pour Tous. Depuis, chaque année, plus de 300 événements sont organisés dans les plus grandes villes en France et à l’international (Royaume-Uni, Espagne, Allemagne et Pays-Bas). Une communauté de « Plant Lovers » s’est formée sur les réseaux sociaux. Si bien qu’en 2022 un réseau de magasins physiques est inauguré. Des fonds (870 000 €) sont levés auprès de la communauté qui compte 361 nouveaux actionnaires pour ces jardineries urbaines. À ce jour, quatre boutiques sont ouvertes à Paris et une cinquième à Lyon. Plantes Pour Tous et Brio ont en commun la même vision d’une planète verte et la même démarche éco-responsable. Afin de ne pas jeter les végétaux ayant encore une vie, une vente flash chaque mardi est mise en place via un click & collect. Des paniers antigaspi permettent de réduire le taux de perte des marchandises (seulement 2 % de perte). Réaliser la jardinerie urbaine Nº1. Les lieux imaginés par Brio bousculent tous les codes des enseignes du secteur. Chez Plantes Pour Tous, les prix sont bas et une expérience shopping immersive est proposée. Dans une démarche engagée, les produits privilégient le made in Europe, l’écoresponsabilité et la diversité. Les productions horticoles responsables sont soutenues par la marque. Les producteurs sont majoritairement labellisés Bio ou MPS (intrants chimiques limités ainsi que la consommation en eau et électricité). En 2022, un million de plantes sont vendues. Plus de 40 % de la clientèle urbaine est âgée de 18 à 34 ans. La communauté de Plant Lovers compte près de 380 000 abonnés. Pour rendre la végétation accessible, il s’agissait de la populariser. Côté économie circulaire, des barquettes de plantes sont consignées et réutilisables. On lutte ainsi contre les déchets plastiques et le gaspillage. Chez Plantes Pour Tous, les mots d’ordre sont équité et égalité. Les collaborateurs ont les mêmes salaires pour des fonctions identiques. L’insertion professionnelle est favorisée. Affiliée à différents organismes, la marque permet aux étudiants de travailler ponctuellement ou régulièrement, d’acquérir de l’expérience et de se lancer dans la vie active. Le projet de Brio pousse son engagement responsable le plus loin possible. Les matières naturelles sont transformées. La signalétique est par exemple en Resysta, un matériau ultra résistant composé d’environ 60 % de cosses de riz, recyclable à 100 %. Les sols et les surfaces des mobiliers sont en caoutchouc naturel avec des éclats de granit incorporés signés Interface. L’ensemble des gondoles pour les plantes sont issues du réemploi. Une «jungle urbaine » en bas de chez soi. Le parcours est pensé pour le bien-être du citadin. En entrant dans la boutique,

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