Architecture, l'esprit du lieu

Villa Koegui La nouvelle peña de Bayonne

Par Nat Lecuppre, le 18 mars 2025.
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© Gilles Trillard

En raison de la pandémie, beaucoup de projets d’exception réalisés sont passés sous silence. La Villa Kœgui en fait partie. C’est pour cette raison que nous décidons de vous présenter aujourd’hui cet hôtel.

La Villa Kœgui est avant tout une belle histoire d’hommes. À l’origine de ce projet, Guy Néplaz, grand voyageur, éditeur, passionné de littérature et propriétaire de la librairie Kœgui à Bayonne. Cet écrin prestigieux de livres anciens porte le nom de Kœgui, une contraction de son prénom et de celui de son épouse.

Cet érudit, amoureux de sa ville, s’est rendu compte qu’elle était désertée le soir par ses amis de passage, les Écrivains de la Mer, faute d’offre hôtelière. Face à ce constat, en moins d’une semaine, Guy Néplaz décida d’y remédier et d’en construire un, appelé la Villa Kœgui****.

La vente d’un terrain immobilier constitué de deux parcelles de 600 m2, d’un ancien garage et d’une galerie d’art contemporain, donna le coup d’envoi pour ce projet. La demande de Guy Néplaz était surtout de ne pas faire un pastiche néo-basque. L’hôtel devait être moderne tout en gardant des traces de ses origines. Le bâtisseur de cet établissement s’est vite entouré d’hommes talentueux et experts. Il a fait appel à l’architecte gascon Bernard Signoret et à l’architecte designer Jean-Philippe Nuel, spécialisé dans l’hôtellerie de luxe. Jean-Philippe Nuel a eu pour mission la décoration et l’aménagement intérieur de l’établissement. Pour de multiples raisons (exigences des Bâtiments de France, chantier interrompu par des fouilles, inondation, confinement…), la réalisation de la Villa Kœgui s’est étalée sur sept ans.

Patrimoine et modernité.

Le programme immobilier est une construction neuve, dans le quartier historique, en plein cœur de Bayonne (64). La façade contemporaine fait écho aux colombages du paysage avoisinant. Ils font partie de la tradition architecturale inspirée par la construction navale. Jean-Philippe Nuel a souhaité concevoir un hôtel ouvert sur la culture de la ville et du Pays Basque avec contemporanéité. C’est avant tout la personnalité du propriétaire qui inspire l’architecte pour son concept. Les parties communes sont un clin d’œil aux traditions des peñas basques — rappelons qu’une peña est un lieu festif qui réunit des personnes autour d’une même passion. À la Villa Kœgui, cette passion commune est l’art (la littérature, la peinture, la musique et la gastronomie). On trouve dans l’établissement une collection de plus de 600 œuvres d’art ayant toutes un lien avec le Pays Basque. Au rez-de-chaussée, des bibliothèques structurent l’espace, nous renvoyant à la passion de Guy Neplaz pour les livres.

Une approche globale de l’architecture, du concept et des aménagements intérieurs ont permis de donner beaucoup de cohérence et d’harmonie. Jean-Philippe Nuel a travaillé dès le départ avec l’architecte Bernard Signoret pour concevoir le rez-de-chaussée et sa connexion à la ville. Les deux architectes ont imaginé à quatre mains la façade qui incarne avec modernité les maisons à pan de bois traditionnelles de Bayonne.

Source d’inspiration : la peña.

Pour souligner cette ambiance de peña, le bar à Pintxos est implanté au centre de l’espace. Les lieux sont ouverts à tous. Une guirlande de suspensions multicolores souligne l’esprit joyeux et opulent des peñas et des fêtes de Bayonne.

En traversant le hall, guidé par la fleur Kœgui au sol, on accède au Carré. Le lieu est pensé pour être une adresse bayonnaise incontournable. Il est à la fois un restaurant mais aussi un lieu de vie et d’échange. En clin d’œil au Carré Bonnat où se réunissait les artistes basques avant-gardistes, on s’y retrouve à tout moment de la journée. Il est propice pour des rendez-vous professionnels ou entre amis, pour déjeuner, boire un verre ou déguster des tapas.

L’art est omniprésent. L’hôtel étant à proximité du musée Bonnat-Helley, peintres bayonnais du XIXe, des reproductions prennent place dans les chambres. Des personnages de Léon Bonnat, Paul César Helleu et Denis Etcheverry, en échelle réelle, habitent les lieux.

Le quatre étoiles dispose de 43 chambres et suites de 23 à 41 m2. Jean-Philippe Nuel, avec son concept d’aménagement intérieur, conjugue le passé et le présent. On trouve du parquet en chêne massif posé à la « bayonnaise » comme les barreaux d’une échelle. Le carrelage des salles de bains et la moquette des couloirs reprennent la bayadère, tissu à rayures emblématique de la région. On le retrouve également dans les rideaux et les coussins conçus par la Maison Jean Vier®. Les têtes de lit et les dressings rappellent les intérieurs de bateaux. Tous les mètres carrés sont optimisés. L’ingéniosité de Jean-Philippe Nuel se retrouve ici. Un meuble de rangement est à la fois dressing, porte-bagages, plateau pause-café dans une niche et coin bureau sous la lampe avec l’intégration de la télévision comme un tableau.

La Villa Kœgui est un véritable petit bijou avec beaucoup de supplément d’âme. Il méritait d’être dévoilé. Il fait partie également des projets préférés de l’architecte en raison de sa taille humaine.

Nous avons eu l’opportunité de rencontrer Jean-Philippe Nuel. Nous avons saisi cette occasion pour lui poser quelques questions supplémentaires.

Nda : Pouvez-vous nous donner votre vision de l’hôtel de demain ?

Jean-Philippe Nuel : L’hôtellerie aujour­d’hui se nourrit encore des questions posées après le Covid. Pour moi, les nouveaux hôtels doivent être clairement des hubs d’activité connectés à la ville, au quartier où ils se situent. Un lieu qui fédéralise de nombreuses activités de détente, de travail et de sport ; dans ce cadre, l’hébergement n’est plus l’activité centrale en termes d’image même si cela demeure la base de la rentabilité.

Cette approche doit s’exprimer spatialement, mais aussi dans la décoration. L’ambition est de donner à ces « nouveaux hôtels » une véritable énergie tout au long de la journée et tout au long de la semaine ; énergie qui garantit la fréquentation et la rentabilité des établissements. La décoration doit également participer à créer un lien entre la ville et l’établissement. L’hôtel est ainsi une porte ouverte sur la culture et l’histoire de la ville et la région.

NDA : Pouvez-vous également nous faire un parallèle entre l’hôtellerie et le tertiaire ? Y a-t-il un air de famille ?

JPN : Les immeubles tertiaires où nous intervenons de plus en plus fréquemment (Danone, Capgemini, Tour Alto, Covivio Maslö…) doivent être également des lieux de vie possédant une véritable énergie. L’ambition est avant tout de créer des lieux d’échange, de partage et de cohésion. Le travail individuel est privilégié à la maison, les espaces tertiaires doivent donc proposer des typologies d’aménagement variées proches d’un lobby d’hôtel.

Cette approche répond également aux attentes des nouvelles générations, qui recherchent un nouveau modèle de lieu de travail où, avec le « zéro papier » et leur portable, il est possible d’être nomade dans l’espace au cours d’une seule et même journée de travail. Autre évolution : comme dans l’hôtellerie, nous cherchons à construire un storytelling autour du lieu et des sociétés hébergées pour donner à la décoration du sens et de la profondeur, renforçant le sentiment d’appartenance pour les employés.

Merci à Jean-Philippe Nuel pour cet échange. Nous attendons avec impatience ses prochains projets.

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    Villa Kœgui Bayonne

    7, rue Frédéric-Bastiat

    64100 Bayonne

    Tél. : +33 (0)5 59 85 85 98

    www.hotel-villakoegui-bayonne.fr

    Studio Jean-Philippe Nuel

    9, boulevard de la Marne

    94130 Nogent-sur-Marne

    Tél. : +33 (0)1 45 14 12 10

    www.jeanphilippenuel.com

    Retrouvez cet article dans le nda numéro 59
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    Urbanisme

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    Doublement labellisée par l’Unesco – « Ville et Pays d’art et d’histoire » en 2008 et « Climats du vignoble de Bourgogne » en 2015 –, Dijon ambitionne de devenir d’ici 2030 une ville neutre pour le climat et intelligente. Conçue par Anthony Béchu et inaugurée en mai dernier, La Cité internationale de la gastronomie et du vin (CIGV) s’inscrit dans un écoquartier tout comme l’opération Les Carrières blanches portée par Constructa dans le cadre de la requalification urbaine de la ZUP La Fontaine des Ouches. Territoire d’innovation, la métropole porte également le projet « Dijon alimentation durable ». Droit de Cité Après le sac de Langres par les Vandales au début du Ve siècle, ses évêques se réfugient temporairement à Dijon. Rattachée au duché de Bourgogne en 1016, la cité comtale devint ainsi française. En 1204, le septième duc fit bâtir dans les faubourgs de l’Ouche1 un hospice administré par les hospitaliers du Saint-Esprit. Promu hôpital général sous Louis XIV, il ne cessa de s’agrandir jusqu’en 2015, date à laquelle l’intégralité des services fut transférée au nouveau CHU François Mitterrand. Lorsqu’en 2010 l’Unesco inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité « Le repas gastronomique des Français », François Rebsamen – maire de la ville et président de la communauté d’agglomération – sollicite Anthony Béchu2 pour réfléchir à la reconversion du site et de ses abords autour de la création d’une cité internationale de la gastronomie. Deux ans plus tard, le Grand Dijon soumet avec succès son projet auprès de la Mission française pour le patrimoine et les cultures alimentaires. Mais sous la pression d’autres villes, la Mission relance une consultation qui finalement sélectionne en 2013 quatre projets « complémentaires » (Dijon, Lyon, Tours et Rungis)3. Suite à un appel à manifestation d’intérêt, Eiffage et son projet conçu par Anthony Béchu épaulé par l’architecte en chef des Monuments historiques Alain Charles Perrot sont désignés lauréats. Sur 6,5 ha, la CIGV développe 8 500 m2 de plancher se ventilant ainsi : lieux d’expositions permanentes et temporaires (1 750 m2) école internationale de cuisine et de pâtisserie Ferrandi école d’initiation du Bureau inter­professionnel des vins de Bourgogne le 1204 – centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine de Dijon (500 m2) marché gourmand dont les huit pavillons abritent commerces de bouche, bar à vins, atelier de dégustation, La Librairie gourmande, une cuisine évènementielle restaurants du groupe Epicure hôtel**** avec piscine, spa et centre de séminaires (500 places)4 incubateur Village by CA pour start-up spécialisées dans la cuisine et l’agroalimentaire multiplex Pathé (8 salles) 92 appartements5 en accession dans le cadre de la loi Malraux (dans la partie XVIIIe) Le « parc habité » de 3,5 ha parachevant l’écoquartier héberge des immeubles de logements conventionnés et trois résidences (étudiants, séniors et tourisme). Le jardin botanique de l’Arquebuse que l’on traverse pour rejoindre la gare a mis à profit sa rénovation afin de proposer un nouveau parcours végétal intitulé « Jardin des saveurs et des cépages ». Sur la Route des vins La CIGV est également le km 0 de la Route des vins de Bourgogne reliant Dijon à Santenay via

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